Future Festivals Field Guide FR: Maurice Jones parle de cocréation, et plaide en faveur des créateures de festivals
« J’espère que Future Festivals deviendra un moyen de soutenir et de défendre le travail des organisateur·rice·s de festivals. Après tout, la culture, ça n’apparaît pas comme par magie. »

Maurice Jones est un commissaire, producteur et chercheur en IA basé à Tiohtià:ke/Montréal, Canada. Doctorant à l’Université Concordia, il étudie les perceptions interculturelles de l’IA, la participation du public à la gouvernance technologique et les festivals en tant que méthodologie. Directeur artistique de MUTEK.JP, il rejoint le quartier général de MUTEK en 2021 pour diriger leur programme sur l’IA et le groupe de recherche de Future Festivals.

Q: Future Festivals est le prolongement de votre recherche doctorale intitulée Festival as Methodology, qui, elle-même, s’inspire en partie de votre mandat à la tête de MUTEK Japon. Quelle-est la prémisse de votre recherche et comment le groupe de réflexion s’en inspire-t-il ?
A: Ma thèse doctorale porte sur le rôle de la participation publique dans la gouvernance de l’intelligence artificielle au Canada, en Allemagne et au Japon. L’idée de base, c’est que les processus démocratiques libéraux qui devraient, en théorie, impliquer le public dans la gouvernance de l’IA, sont dysfonctionnels. Ça contraste assez fortement avec ce que disent les gouvernements, que l’implication du public est essentielle pour que le développement de l’IA soit responsable et éthique.

Avec Festival as Methodology, une collaboration entre l’Université Concordia et MUTEK financée par MITACS, je propose que le festival d’art et de technologie représente un contexte idéal pour développer des formes plus équitables de participation publique, contribuant du même coup à l’élaboration d’une IA plus diversifiée et plus inclusive. Ces avancées auraient également des répercussions sur la technologie de manière plus générale. Les thèmes abordés par Future Festivals dépassent le cadre spécifique de mon projet de doctorat car ils proviennent des échanges avec la cohorte de participant·e·s, mais je remarque qu’il y a deux questions fondamentales qui se recoupent : 1) Qu’est-ce qui fait que les festivals soient des espaces d’expériences aussi précieuses et transformatrices ? et 2) Comment pouvons-nous tirer parti de ces potentiels de transformation pour les appliquer au changement social ?
« Les budgets sont coupés, les espaces se font rares, les travailleur·e·s culturels sont surchargés et sous-payés. Ce projet pourrait également être défini ainsi : « Y a-t-il un avenir pour les festivals ? »
Q: À l’heure actuelle, il existe sept festivals partenaires situés dans diverses régions et fonctionnant à diverses échelles. Que pouvez-vous nous dire sur la configuration du groupe et sur leurs défis communs ? Est-il prévu d’élargir le cercle ?
A: Tous nos partenaires travaillent dans un éventail complexe de contextes locaux et de réalités vécues. Certains, comme MUTEK, ont une plus grande équipe, tandis que d’autres reposent sur les épaules d’une seule personne. Certains sont financés par des fonds publics et d’autres dépendent entièrement des profits générés par la vente de billets et du revenu des bars associés. Certains sont liés à un lieu spécifique et d’autres luttent pour trouver des espaces.

Le processus de co-conception de deux mois nous a permis de réaliser que malgré cette hétérogénéité, plusieurs préoccupations, dans une certaine mesure, se recoupent : l’accessibilité, la responsabilité, la capacité, le financement, l’inclusivité et le développement durable. L’un des défis est de savoir comment aborder ces questions d’une manière pratique, tout en étant conscient et respectueux de la situation de chacun.

Le projet repose sur l’ouverture et sur la cocréation. Nous avons déjà étendu notre portée bien au-delà de la cohorte de partenaires initiale et nous sommes excités à l’idée d’agrandir le réseau à nouveau. Le prochain forum MUTEK, qui se tiendra à Montréal à la fin du mois d’août, a pour objectif d’élargir la conversation afin d’y inclure le grand public et la cinquantaine de délégué·e·s du milieu culturel qui visitent Montréa,l chaque année.
Q: En tant que Directeur Artistique de MUTEK Japon, quels problèmes avez-vous rencontré dans la promotion de la musique électronique et de l’art numérique à Tokyo et comment ceux-ci peuvent-ils nourrir la réflexion ?
A: L’organisation conjointe de MUTEK.JP a été un défi à bien des égards, mais je dirais que c’est plutôt le potentiel de transformation du festival lui-même, malgré les obstacles, qui a été la plus grande leçon pour moi.

L’énorme travail que nous avons fait pour diversifier notre programmation, dès 2018, en témoigne encore. Inspirés par des initiatives telles que Keychange et Amplify, nous avons lancé un projet financé par EUNIC, qui met en lumière la sous-représentation des femmes et des membres de la communauté LGBTQ+ sur les scènes de festivals, et dans le secteur culturel. Pour donner un contexte, le Japon s’est récemment retrouvé au 125e rang au niveau de l’écart entre les hommes et les femmes. Le simple fait d’aborder ces questions dans notre programmation de conférences et de booker plus d’artistes sous-représentés sur les scènes de nos festivals, c’était assez choquant.

Beaucoup de facteurs entrent en jeu pour vraiment révolutionner les choses, mais tout de même, j’ai l’impression qu’on a eu un impact au moins sur notre milieu immédiat. De nombreuses conversations ont eu lieu avec des professionnels de la culture et on en voit les traces encore aujourd’hui, dans les programmations de festivals plus diversifiées et dans les clubs.
Objectifs : Le rapport annuel, sur lequel figure le logo officiel conçu par de Mars, est l’un des nombreux projets possibles de Future Festivals.
Image :
Rapport annuel de Future Festivals (maquette)

Q: Les répercussions assez brutales de la COVID-19 comme l’arrêt momentané des activités culturelles et leur passage au numérique et aux formules hybrides, prennent beaucoup de place dans les réflexions des dernières années. Y a-t-il d’autres développements récents qui vous font penser que Future Festivals est un projet nécessaire pour notre époque ?

A: Le processus de co-conception nous a permis de constater qu’en somme, le travail culturel est tout simplement de plus en plus précaire. On a certainement vu une accélération pendant la pandémie et maintenant que les mesures d’urgence d’aide financière prennent fin, on constate finalement l’ampleur des dégâts. L’inflation augmente, les budgets sont coupés, les espaces se font rares. Et les travailleur·e·s culturels, ceux·elles qui sont restés, malgré tout, sont complètement surchargés et sous-payés. À bien des égards, ce projet pourrait également être défini ainsi : « Y a-t-il un avenir pour les festivals ? »

Et en même temps, dans l’esprit des gens, la culture, ça doit être vivant, attrayant. C’est ce qui rend des villes comme Montréal si attirantes. Le travail souterrain pour créer cette culture par contre, il est souvent inaperçu. C’est pour ça qu’un autre objectif de Future Festivals, c’est trouver de meilleures façons pour défendre le travail que nous faisons en tant qu’organisateur·rice·s de festivals et montrer en quoi ce travail est important. On pourrait commencer par tenter de considérer les festivals et la culture en général par le biais de la santé mentale et du bien-être, plutôt que dans une perspective de divertissement.

« Le projet repose sur l’ouverture et sur la cocréation. Nous avons déjà étendu notre portée bien au-delà de la cohorte de partenaires initiale et nous sommes excités à l’idée que plus de gens participent. »
Q: Élaborer des prototypes de festivals favorisant l’accès, la résilience et le développement durable en 18 mois, c’est un objectif ambitieux. Quels types de résultats pensez-vous que le projet puisse produire, de façon réaliste ? Y a-t-il quelque chose en particulier que vous aimeriez voir émerger ?
A: Concrètement, j’espère que nous pourrons atteindre deux résultats qui se sont cristallisés au fil des conversations avec nos partenaires et autres. Tout d’abord, que Future Festivals devienne une plateforme de partage des connaissances sur les meilleures pratiques en matière d’organisation de festivals. Ce que nous faisons n’est pas nouveau. Il existe déjà de nombreux projets et études de cas dans lesquels des festivals du monde entier se sont déjà engagés. Sans réinventer la roue, comment pouvons-nous mobiliser ce type de connaissances, mais au profit de tous les gens travaillant dans le domaine ? Comme l’a dit avec éloquence Naomi Johnson d’imagineNATIVE, nous devrions mettre l’accent sur ce que nous pouvons offrir plutôt que ce que nous souhaitons prendre.

J’espère également que Future Festivals deviendra un outil permettant de défendre et de protéger le travail des gens œuvrant dans le domaine. Il faut parler des difficultés auxquelles nous sommes confrontés et montrer que la culture n’apparaît pas comme par magie. Le Guide Pratique de Future Festivals de HOLO joue un rôle crucial dans les deux cas.

Je pense que le projet lui-même, sa méthodologie ouverte, exploratoire, c’est déjà une expérience de prototypage, une sorte d’apprentissage par la pratique qui, je l’espère, inspirera d’autres personnes à monter à bord ou à entamer des conversations au sein de leurs propres écosystèmes culturels.
Future Festivals Field Guide FR
Guide de Terrain des Futurs Festivals

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Alexander Scholz

Alex is a Berlin-based writer, artistic director, and cultural worker. As the founder and creative director of HOLO, he helps produce and disseminate knowledge on disciplinary interstices, artistic research, and cultural transformations in the digital age. Over the years, he curated exhibitions, conferences, and educational programmes for organizations and festivals including A.C.C. (KR), Mapping (CH), MUTEK (CA), and NODE Forum for Digital Arts (DE).

Greg J. Smith

A writer and cultural worker based in Hamilton, Canada, Greg is an editor for HOLO and his writing has appeared in publications including Creative Applications Network, Musicworks, and Back Office. He is also a PhD candidate within the Department of Communication Studies and Multimedia at McMaster University, where he is researching the emergence of the programmable drum machine in the early 1980s.

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