Future Festivals Field Guide FR: L’équipe organise des plans audacieux pour de nouvelles infrastructures
Rapport de lab : L’équipe de Future Festivals élabore un plan d’action basé sur les recherches des derniers mois et sur les données recueillies
La fragilité du secteur culturel se reflète souvent dans les problèmes financiers auxquels les festivals doivent faire face, comme les coupes budgétaires par exemple. Après les succès électoraux du parti conservateur principal en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, l’un de nos festivals partenaires, NEW NOW, hésite à organiser sa troisième édition biennale en 2025. Rafael Dernbach explique : « La menace d’un virage vers l’extrême-droite est bien réelle. Les partis conservateurs traditionnels flirtent avec des positions extrémistes pour gagner des voix. Mais il y a de l’espoir. La semaine dernière, j’ai participé à une manifestation au Reichstag avec ma famille et mes ami·e·s, où 150 000 personnes ont marché contre le populisme d’extrême-droite. »
Le populisme n’est pas la seule menace qui pèse sur les arts. « J’étais à Berlin pour la Transmediale », raconte Maurice Jones, chargé de projet de Future Festivals. « Le discours d’ouverture et la conférence représentaient le meilleur de ce qu’un festival peut accomplir en période de crise et d’instabilité. C’était une lueur d’espoir. », ajoute-t-il, faisant référence à l’ambiance glaciale dans le milieu culturel allemand après le 7 octobre et la réponse brutale d’Israël envers la Palestine. « Le festival a pu créer un espace où des discussions très difficiles, complètement absentes des médias mainstreams, ont pu avoir lieu.»
Ces témoignages partagés au début du quatrième Future Festivals Lab illustrent bien l’importance du projet. Même dans les pays plus progressistes, l’avenir de la culture est loin d’être assuré. Le soutien artistique peut rapidement se transformer en coupes budgétaires, en fermetures et même en censure. Avec un sentiment d’urgence renouvelé, l’équipe de Future Festivals a réalisé un bilan de mi-parcours dans le but d’élaborer un plan d’action basé sur les recherches des derniers mois et sur les données recueillies.
Workshop: “Navigating Challenges + Shaping Futures” with Alexander Scholz, Greg J. Smith (HOLO); Naomi Johnson, Kaitlynn Tomaselli (imagineNATIVE); Rafael Dernbach (NEW NOW); Sarah Mackenzie, Alain Mongeau, Maurice Jones (MUTEK); Damian Romero (MUTEK.MX); Emile Beauchemin, Mélanie Bédard (Mois Multi & Recto-Verso); and Cam Scott (Send+Receive)
Le groupe de recherche de Future Festivals a identifié plusieurs domaines nécessitant des changements urgents : la réduction des inégalités, la lutte contre l’épuisement professionnel et la diminution de l’empreinte carbone. Jusqu’à présent, les sessions de laboratoire ont mis en lumière des thèmes et des approches comme la décroissance (NEW NOW), l’accessibilité radicale et l’inclusivité (MUTEK), ainsi que l’affirmation de la souveraineté narrative des peuples autochtones (imagineNATIVE). Mois Multi a constitué une étape charnière pour le projet. Après de nombreux ateliers et consultations, il était temps de transformer les concepts abstraits en idées concrètes.
L’équipe s’est rassemblée autour d’une grande table au dernier étage de La Charpente des fauves, dans un espace de travail ouvert rempli de lumière. « Le travail que nous avons accompli jusqu’à présent nous a bien préparés pour cette étape du projet », a affirmé Jones d’entrée de jeu, « Aujourd’hui, nous finalisons les objectifs et les résultats pour Future Festivals ». Pour se faire, le groupe passera en revue le contenu très dense des séances de « thérapie de groupe » qui ont eu lieu au cours de l’année. Dernbach a ajouté : « Les tensions peuvent être vues comme un écart entre comment les choses sont, et comment elles pourraient être. Notre objectif est de cartographier ces tensions, et de les masser bien comme il faut. »
Le groupe s’est ensuite séparé en plus petits groupes, et pendant trois heures, chacun d’entre eux a eu à créer une liste de « besoins essentiels » à partir des informations répertoriées lors des rencontres précédentes. Ils ont ensuite eu à envisager des actions concrètes pour répondre à ces besoins. Les conversations sont devenues animées, avec différents groupes se passionnant pour une diversité de sujets allant de l’activisme politique à la création de crypto pour soutenir le secteur culturel. Les thèmes suivants représentent des tensions et des propositions d’interventions qui ont été soulevées lors de cet atelier.
Tension : Les festivals ont du mal à se faire remarquer et à maintenir l’attention du public à l’ère du capitalisme de plateforme. La communication avec le public se perd dans les algorithmes et le bruit des réseaux sociaux, les rendant relativement invisible localement, même s’ils sont reconnus à l’échelle nationale ou internationale.
Intervention : Prioriser une communication (plus) directe avec les différents publics et éviter de rivaliser dans le marché de l’attention. Les festivals peuvent renforcer leurs liens avec les communautés locales et les organisations artistiques de manière proactive pour augmenter leur public dans leur propre communauté.
Tension : Les festivals rencontrent des défis générationnels à bien des égards. Les jeunes publics sont souvent moins engagés, et on remarque parfois des frictions entre les employé·e·s seniors et juniors. Les attentes divergentes de chacune des générations concernant la programmation, la gouvernance et l’équité créent des divisions au sein des organisations.
Intervention : Développer une représentation multigénérationnelle au sein de la gouvernance et de la programmation. En favorisant un consensus et en offrant des opportunités aux jeunes membres de l’équipe, on peut cultiver un engagement et une passion commune pour le travail au sein de toute l’organisation. Il faut écouter les jeunes, les prendre comme ils sont, et même apprendre d’eux, si nous souhaitons que nos organisations restent pertinentes à long terme.
Tension : À gauche comme au centre, peu de politicien·ne·s soutiennent activement les arts, tandis qu’à droite, les arts sont souvent critiqués et décrits comme des dépenses superflues pour gagner des points politiques. Avec si peu de défenseurs au niveau national, régional et municipal, le secteur artistique est constamment menacé par des coupes budgétaires, l’austérité et les critiques.
Intervention : S’inspirer des tactiques de lobbying des grandes industries. Consulter les ancien·ne·s (et futur·es) ministres de la culture pour comprendre les rouages du lobbying, identifier des alliés au sein des institutions, et découvrir quelles stratégies de communication sont efficaces pour influencer les décisions politiques. Changer le consensus pour que les bénéfices des arts sur l’économie et la santé mentale soient largement reconnus. De plus, il est nécessaire de militer pour qu’un pourcentage fixe du PIB soit réservé aux arts, garantissant ainsi la protection de ce secteur contre les réductions budgétaires, indépendamment de qui est au pouvoir.
Tension : Les équipes des festivals manquent souvent de temps et de ressources pour rechercher et développer des partenariats avec d’autres organisations. Quand ces partenariats sont établis, ils sont souvent fragiles et peuvent être rapidement perdus à cause de la rotation du personnel. En conséquence, les organisations se trouvent constamment à la recherche de solutions de partenariat à court terme.
Intervention : Les festivals ayant des mandats et/ou une programmation similaires pourraient s’associer et se « partager » une personne en charge des partenariats sur la base d’un contrat à long terme, par exemple de cinq ans. Avec un rôle bien rémunéré et clairement défini, cette personne serait chargée d’établir des partenariats importants qui unissent et soutiennent plusieurs organisations sur des périodes prolongées.
Tension : Les attentes élevées et la rémunération insuffisante créent du stress pour les employé·e·s du secteur culturel. Les générations ont des perspectives différentes sur l’équilibre entre travail et vie personnelle, et les défis liés à la conciliation entre la famille et une carrière artistique compliquent la gestion des ressources humaines.
Intervention : Incorporer des moments dans les tâches quotidiennes pour permettre aux employé·e·s de développer leurs compétences et de suivre leurs passions. Proposer une flexibilité adaptée aux employé·e·s parents afin qu’iels puissent s’épanouir tant sur le plan professionnel que personnel. Si le secteur des arts ne peut pas se mesurer au secteur privé en termes de salaires, il doit compenser par des valeurs fortes et une qualité de vie supérieure.
La principale leçon à retenir de la phase de recherche du projet est l’importance d’une conversation soutenue, ce qui nécessite des espaces adaptés et un bon soutien. Par exemple, on pourrait organiser un sommet annuel qui rassemblerait les organisateur·rice·s de festivals et les gens travaillant dans le milieu culturel de partout dans le monde. Ce serait l’occasion idéale de partager des idées, d’améliorer nos compétences et de créer des liens. En somme, ce serait un festival pour les festivals, centré sur la solidarité dans le secteur culturel et la recherche de solutions aux problèmes communs.
Bonne nouvelle : la première édition de cet événement est en préparation ! Le Sommet Future Festivals est prévu pour le 19 août 2024, juste avant le 25e anniversaire de MUTEK Montréal. Une journée entière d’activités mettra en avant des innovateur·rice·s du secteur culturel et présentera de nombreuses études de cas inspirantes. C’est du moins l’objectif déclaré par Maurice Jones, chargé de projet de Future Festivals. « Et qui de mieux que les esprits créatifs réunis ici pour échanger des idées à ce sujet ? », a-t-il ajouté.
Le groupe a commencé à élaborer les sessions du sommet en mêlant des formats de partage inspirants qui encouragent l’ouverture et la générosité, à des exercices pratiques d’apprentissage animés par des expert·e·s. Naomi Johnson a souligné avec justesse : « J’aimerais vraiment acquérir des connaissances applicables et développer des nouvelles compétences, plutôt que d’entendre à nouveau que tout va mal. » Les sessions précédentes ont montré que la thérapie de groupe est essentielle, voire cathartique, mais ne doit être considérée que comme un premier pas.
Le sommet sera un festival destiné aux festivals, centré sur la solidarité dans le secteur culturel et axé sur la recherche de solutions aux problèmes communs.
L’idée d’un bootcamp pour les professionnel·le·s du secteur des festivals était au cœur de nombreuses propositions. Plusieurs ont suggéré d’associer des directeur·rice·s expérimenté·e·s à de jeunes ou aspirant·e·s organisateur·rice·s, via des séances de mentorat ciblant les défis spécifiques du secteur. D’autres ont mis l’accent sur des formations pratiques en lobbying, création de communautés et gestion d’organisations. L’idée la plus ambitieuse était celle d’une Académie de Future Festivals, qui offrirait un cadre complet de développement des compétences, allant des ateliers pour débutant·e·s aux masterclass.
Le Sommet Future Festival doit être conçu pour être accessible aux familles. Personne ne devrait avoir à choisir entre ses enfants et l’art. C’est pourquoi nous proposons de créer un jardin d’enfants sur place pour accueillir les enfants pendant le festival. De plus, des coachs spécialisé·e·s dans l’équilibre entre travail et vie personnelle offriront des séances de conseil pour les parents. Et pourquoi ne pas tout simplement impliquer les enfants dans les séances de planification du sommet ? Après tout, ce sont eux qui hériteront des infrastructures que nous construisons aujourd’hui.
En s’appuyant sur les discussions antérieures sur le développement d’une culture politique, nous avons établi une liste de personnes que nous souhaitons inviter au sommet. En tête de liste figurent les représentant·e·s des principaux organismes de financement ainsi que la Ministre du Patrimoine canadien. Rien de tel que d’impliquer les personnes qui prennent les décisions pour leur faire prendre conscience de l’état du milieu culturel et de son potentiel. L’idée d’une « Journée sans les arts » a été proposée en marge du sommet, consistant à suspendre les activités à travers tout le secteur culturel le temps d’une journée afin d’attirer l’attention des médias et de sensibiliser le public aux difficultés majeures auxquelles nous sommes confrontés.
La proposition la plus intrigante transforme le format du sommet en un jeu de rôle grandeur nature. Une intervention théâtrale se déroulant en 2035 permet aux participant·e·s de négocier l’avenir des festivals en incarnant différents rôles. L’objectif est de susciter de l’empathie et de générer de nouvelles idées. Par exemple, les artistes jouent le rôle des décideurs politiques, tandis que les bailleurs de fonds se mettent dans la peau des travailleurs et travailleuses du milieu culturel en situation de précarité. « Les festivals sont menacés d’extinction ! Peut-on les sauver ? » Le défi est lancé !
La menace d’extinction pose également la question primordiale de l’archivage du travail des festivals après leur disparition, comme c’est potentiellement le cas pour NEW NOW. Comment assurer la conservation de leur précieux héritage ? Trop souvent, des initiatives importantes disparaissent sans laisser de traces. Pour répondre à ce problème, le groupe propose d’intégrer, lors du sommet Future Festivals, une initiation à l’archivage et à la préservation.
Toutes ces idées ne seront pas retenues, bien entendu. La portée du premier sommet Future Festivals est limitée par le budget, et non par l’imagination. Les festivals sont des experts pour créer de la magie, même avec des contraintes serrées. Notez-le à votre agenda, participez via futurefestivals@mutek.org, et si ce n’est pas déjà fait, répondez à notre enquête.
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