Future Festivals Field Guide FR: Crip Rave milite pour l’accès et la justice pour les personnes handicapées
« Accorder de la valeur aux besoins des personnes Crip, Folles, Malades, Sourdes et Handicapées rend un événement plus accessible pour tout le monde. »
Fondé par Renee Dumaresque et Stefana Fratila, toutes deux organisatrices Folles et Crip s’inscrivant dans la lignée des mouvements de Justice pour les personnes handicapées (ou Justice Handie), Crip Rave est un collectif prenant la forme de plateforme événementielle et de cabinet de conseil basé à Toronto. Crip Rave met de l’avant et priorise les corps et les esprits des personnes handicapées à travers la création d’espaces de rave plus sûrs et accessibles.
Q: Pourriez-vous décrire comment vos expériences avec la douleur chronique et l’environnement du dancefloor ont inspiré la formation de votre collectif ?
A: Nous nous sommes rencontrées en 2018, et nous nous sommes vite liées en partageant notre amour pour la musique électronique et nos expériences personnelles avec le handicap, la folie et la douleur, qu’elle soit physique ou psychique. Nous nous sommes rendues compte que nous avions toutes les deux vécu des situations similaires sur les pistes de danse et dans les raves, notamment concernant la douleur, comment elle se manifeste et se ressent différemment. Le dancefloor a le potentiel de faire émerger des états altérés qui offrent une sensation d’évasion et en même temps, une présence magnifiée. C’est ce potentiel de connexion (et de déconnexion) qui nous inspire et guide notre travail. Notre collectif est né de notre passion pour ces expériences vécues et de notre désir de les enrichir encore plus. Ce sont finalement les parcours et les compétences de chacune qui ont façonné le projet tel qu’il est aujourd’hui, Stefana en tant que DJ et artiste sonore, et Renee en tant qu’organisatrice communautaire impliquée de longue date dans les mouvements de justice sociale.
« Nous employons les termes « Crip » et « Fou » parce qu’ils sont politiquement chargés et qu’ils ont été réappropriés par diverses communautés concernées par le handicap, la santé mentale, la douleur chronique et la maladie. »
Q: Vous organisez des événements radicalement accessibles pour démontrer ce qui est réellement possible. Pourriez-vous nous parler des raves que vous avez organisées ? Quelles étaient leurs principales caractéristiques en termes d’accessibilité, et comment ont-elles été accueillies par le public à qui elles étaient destinées ?
A: Nous avons lancé notre première soirée en 2019, dans le cadre du festival queer Bricks and Glitter, à Toronto. Depuis, nous avons plutôt collaboré avec d’autres festivals et promoteur·rice·s. En octobre 2023, nous avons proposé Ciel comme tête d’affiche pour le Gray Area Festival à San Francisco, et début décembre, nous avons participé à Pique à Ottawa, avec Regularfantasy et Venus in Foil. Que ce soit en organisant nos propres événements ou en collaborant avec d’autres, nous adoptons toujours une approche inclusive pour déterminer ce qui rend un espace, une communauté ou une pratique créative accessible à tous. Plusieurs aspects sont essentiels selon nous, comme l’accessibilité du lieu comme tel, l’aménagement d’espaces de repos loin de la musique, avoir des prix abordables, une assistance sur place, de l’eau gratuite et du matériel de réduction des méfaits. Nous avons également recherché plusieurs avenues pour faciliter l’expérience sensorielle de la musique, notamment en utilisant le ASL (American Sign Language) pendant les sets où la parole occupe une place importante, en explorant la réactivité du visuel avec la musique et en ajoutant des descriptions de la musique dans le visuel. Une grande importance est accordée à la communication des informations sur l’accessibilité des événements et nous utilisons une conception graphique accessible dans nos promotions. Nous donnons aussi la priorité à l’accessibilité lors des négociations avec les artistes, par exemple, en utilisant des riders d’accessibilité.
Les réactions de la communauté Crip, Folle, Malade, Sourde et Handicapée ont été extrêmement positives. Il a été également très intéressant d’entendre des personnes qui ne s’identifient pas comme handicapées dire à quel point leur expérience s’est améliorée grâce à ces changements. La plupart des gens veulent avoir accès à de l’eau gratuite, à un endroit où s’asseoir et à une salle pour décompresser. Nous espérons que chacun·e, quelle que soit sa situation de handicap, son identité ou son expérience, reconnaîtra qu’il est essentiel d’améliorer l’accessibilité dans la culture rave et celle de la musique électronique. Accorder de la valeur aux besoin des personnes Crip, Folles, Malades, Sourdes et Handicappées rend un événement plus accessible pour tout le monde.
Les réactions de la communauté Crip, Folle, Malade, Sourde et Handicapée ont été extrêmement positives. Il a été également très intéressant d’entendre des personnes qui ne s’identifient pas comme handicapées dire à quel point leur expérience s’est améliorée grâce à ces changements. La plupart des gens veulent avoir accès à de l’eau gratuite, à un endroit où s’asseoir et à une salle pour décompresser. Nous espérons que chacun·e, quelle que soit sa situation de handicap, son identité ou son expérience, reconnaîtra qu’il est essentiel d’améliorer l’accessibilité dans la culture rave et celle de la musique électronique. Accorder de la valeur aux besoin des personnes Crip, Folles, Malades, Sourdes et Handicappées rend un événement plus accessible pour tout le monde.
Q: La cabine de DJ est un espace très codé. Chaque geste musical est chargé de significations et de nombreuses règles tacites déterminent qui y a accès. En 2021, cet espace a été scrupuleusement examiné lors d’un atelier organisé par Syrus Marcus Ware. Pourriez-vous nous parler de cet atelier et expliquer à quoi ressemblerait une cabine de DJ plus accessible et inclusive ?
A: L’atelier de Syrus Marcus Ware s’appelait Cripping the DJ Booth. Tout d’abord, dans la communauté, nous utilisons des termes comme « Crip » et « Fou » car ils sont politisés et ont été réappropriés par diverses communautés concernées par le handicap, la santé mentale, la douleur chronique et la maladie. Ces termes peuvent être adoptés comme identités. Il est important de spécifier qu’on cherche également à améliorer les conditions pour toute personne partageant des expériences similaires, indépendamment du vocabulaire spécifique que chacun·e adopte ou de l’identité de chacun·e. Le mot « Crip » fait également référence à une orientation politique et artistique, à une praxis qui expose et contrarie le capacitisme, le sanisme et l’audisme, par exemple, et les façons dont ils façonnent les espaces non handicapés. En abordant la cabine de DJ sous un angle politique Crip, Syrus a proposé aux participant·e·s d’apprendre à interagir avec la technologie de manière adaptée à leur propre corps et esprit, plutôt que de s’adapter à elle. Il a présenté des méthodes variées telles que créer des playlists prenant en compte les pauses toilettes, utiliser la dimension multisensorielle du son à travers une performance visuelle, et reconnaître l’importance des basses et des vibrations pour les personnes sourdes. Syrus a également préconisé l’intégration d’archives militantes et abolitionnistes dans les sets de DJ, et a souligné l’importance de pratiquer le DJing en tenant compte de la justice économique. Il a affirmé que « les personnes Crip sont souvent sous-représentées, avec énormément de talent et pas assez de ressources ».
Une grande partie de ce que nous faisons consiste à remettre en question les conceptions étroites et limitatives qu’ont les gens à propos du handicap, en montrant que les DJ et producteur·rice·s Crip sont déjà là, dans la salle. En même temps, nous cherchons à réviser les normes de l’industrie et de la société qui les ont souvent exclues en rendant l’accès impossible.
« Une grande partie de ce que nous faisons consiste à remettre en question les conceptions étroites et limitatives qu’ont les gens à propos du handicap, tout en cherchant à réviser les normes de l’industrie et de la société qui les ont souvent exclues en rendant l’accès impossible. »
Q: En 2022, vous avez apporté votre expertise à MUTEK pour la mise en place de leur politique d’accessibilité. Comment avez-vous évalué leurs opérations et identifié les secteurs nécessitant des améliorations ? Quels aspects de cette nouvelle politique vous ont particulièrement plu ?
A: Travailler avec MUTEK a été une expérience passionnante car ils avaient déjà consacré beaucoup de temps et d’énergie à renforcer l’accessibilité dans leurs pratiques, quand nous avons commencé à collaborer. Nous avons pu travailler ensemble étroitement pour aller encore plus loin. Notre implication a été particulièrement intense lors du festival de 2022 à Montréal, où nous avons aidé à définir des objectifs réalistes pour cette année-là et à mener un audit d’accessibilité aligné sur leurs objectifs spécifiques. Nous avons ensuite utilisé ces résultats pour concevoir, avec eux, un plan d’action pour l’année suivante.
Nous encourageons toujours les festivals et les événements à commencer avec ce qu’ils ont. L’approche Crip démontre l’importance d’un progrès continu et réfléchi plutôt que d’agir sous pression et dans l’urgence.
Nous encourageons toujours les festivals et les événements à commencer avec ce qu’ils ont. L’approche Crip démontre l’importance d’un progrès continu et réfléchi plutôt que d’agir sous pression et dans l’urgence.
Q: Les grands festivals, les clubs et les communautés DIY entretiennent différents types de relations avec le capitalisme. Quelles distinctions observez-vous en ce qui concerne leur engagement pour les droits des personnes handicapées ? Où observez-vous les avancées les plus significatives ?
A: Il existe certainement un large éventail de pratiques, mais les avancées les plus significatives se produisent sans aucun doute dans les espaces DIY et underground. Ces derniers cherchent à créer des événements de qualité et ce, avec moins de ressources financières. Ces collectifs et ces espaces ont consacré un effort considérable pour créer des environnements plus sûrs et plus inclusifs, ainsi que pour inclure davantage de talents sous-représentés. Ces pratiques ont toutes un impact direct et indirect sur l’accessibilité. De plus en plus, nous voyons que les promoteur·rices et les festivals s’intéressent de plus en plus à ces questions et cherchent activement à apprendre et à apporter des changements dans leur façon de faire, pour retirer les obstacles auxquels sont confrontées les communautés de personnes handicapées.
Notre engagement envers la justice économique implique de résister à la tendance qu’à le capitalisme de prioriser le profit avant tout, tout en reconnaissant la nécessité pour les individus de gagner leur vie à l’intérieur de ce système. La plupart des organisateur·rice·s doivent faire des concessions et nous voulons que ce travail soit durable. Nous voulons aussi remettre en question les valeurs, les suppositions et les normes qui façonnent et définissent ce que nous considérons comme « non-négociable », et considérer ce qui est généralement exclu de la prise de décision. Nous sommes toujours contentes de voir des festivals et des événements faire de leur mieux avec ce qu’ils ont. Un excellent point de départ, c’est de partager les informations sur l’accessibilité de l’événement et même si ça signifie partager les aspects de l’événement qui ne sont pas accessibles, ça contribue en bout de ligne à créer une plus grande accessibilité.
« Nous sommes toujours contentes de voir des festivals et des événements faire de leur mieux avec ce qu’ils ont. Un excellent point de départ, c’est de partager les informations sur l’accessibilité de l’événement. »
Q: Une grande partie de votre travail consiste à identifier et à corriger les lacunes au niveau de l’accessibilité dans la vie nocturne d’aujourd’hui. Le thème du « futur » étant au cœur du projet Future Festivals, quelle est votre vision la plus positive de la façon dont la justice pour les personnes handicapées pourrait transformer les pratiques pour les décennies à venir ?
A: La Justice Handie transformerait l’organisation des événements en intégrant l’expertise de Crip Rave dans les pratiques courantes. Notre conception de l’accessibilité repose sur un cadre de Justice pour les personnes handicapées, issu des communautés queer de couleur handicapées, mettant l’accent sur l’intersectionnalité. Dans un avenir idéal, toutes les raves et tous les festivals seraient accessibles, soutenus par un financement et des ressources durables. Ça refléterait les expériences variées de la Folie et du Handicap, changeant selon la situation sociale d’une personne et l’intersection de ses identités. Lorsque nous pensons à l’avenir de l’accessibilité dans les espaces de rave et de musique électronique, nous rêvons non seulement à la fin du capacitisme, mais aussi de la suprématie blanche, de la colonisation, de l’injustice économique et environnementale, du racisme, du sexisme, de l’homophobie et de la transphobie. Il n’y a pas de justice pour les personnes handicapées sans libération collective. Toutes les libertés, et toutes les violences, se recoupent. Approcher l’accessibilité sous cet angle met en lumière des questions telles que le risque accru associé à la présence policière pour les artistes et les participant·e·s fou·olle·s, noir·e·s et racialisé·es, et souligne l’importance de centrer une approche abolitionniste de désescalade, désamorçage et de soutien en matière de santé mentale. Ça inclut également l’importance du PWYC (payez-ce-que-vous-pouvez) et autres manières de baisser les prix d’entrée afin de permettre l’accès à tous et à toutes, reconnaissant ainsi la réalité des communautés de personnes handicapées qui sont souvent pauvres et appartiennent à la classe ouvrière. Enfin, la justice pour les personnes handicapées reconfigure l’organisation des événements en montrant que rendre une rave ou une fête plus accessible, ça ne diminue en rien la qualité de l’événement. Au contraire, ça augmente l’innovation et les processus créatifs.
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Greg J. Smith
A writer and cultural worker based in Hamilton, Canada, Greg is an editor for HOLO and his writing has appeared in publications including Creative Applications Network, Musicworks, and Back Office. He is also a PhD candidate within the Department of Communication Studies and Multimedia at McMaster University, where he is researching the emergence of the programmable drum machine in the early 1980s.