Future Festivals Field Guide FR: Les utopies temporaires de Future Festivals
Les utopies temporaires de Future Festivals
Il y a environ un an, nous avons lancé le groupe de recherche Future Festivals dans le but d’analyser de manière critique nos méthodes en tant qu’organisateurs et organisatrices de festivals. À l’origine, notre cohorte s’est réunie pour répondre à l’impératif urgent de repenser nos pratiques et, de façon plus générale, pour vérifier l’état de nos infrastructures culturelles à la suite de la pandémie de COVID-19.
La maladie virale étant relativement contenue, ou du moins, presque entièrement effacée de l’actualité, il était temps de faire l’inventaire des autres problèmes majeurs qui caractérisent cette polycrise actuelle. De l’hyperinflation à l’extraction technocapitaliste sous stéroïdes, en passant par les catastrophes climatiques et les génocides en cours, une abondance de problèmes se présentaient sur tous les fronts. Il ne s’agissait pas de prétendre que nos actions allaient résoudre ces problèmes, mais plutôt de reconnaître les réalités inévitables auxquelles nous faisions face.
Au cours de la dernière année, Future Festivals a été le lieu de laboratoires expérimentaux, d’ateliers spéculatifs, d’interventions artistiques et de discours performatifs qui ont cherché à réfléchir à ces problèmes complexes et à leurs impacts au sein des différentes communautés. Nous avons rassemblé une équipe d’organisateur·rice·s de festivals de partout dans le monde dans le but d’imaginer des avenirs où l’abondance, la résilience et le développement durable seraient choses courantes. Ces visions du futur carrément optimistes devaient servir de rétroviseur pour réfléchir de manière critique au moment présent et pour tenter de découvrir des nouvelles avenues pour effectuer les transformations nécessaires. Avec un peu de chance, ces exercices nous permettraient peut-être de créer quelques aperçus tangibles de ces futurs spéculatifs.
Les réalités du travail sur le terrain semblaient entraver notre capacité à rêver et à manifester de l’abondance, de la résilience et de la durabilité.
Si le projet a certainement stimulé l’imagination, les participant·e·s ont souvent eu du mal à faire le pont entre la vision et le potentiel réel de transformation. Nous nous sommes souvent sentis démunis face à l’ampleur des problèmes à surmonter. Les réalités du travail sur le terrain semblaient entraver notre capacité à rêver et à manifester de l’abondance, de la résilience et de la durabilité. Il était intéressant de constater que les festivals, dont le mandat est de proposer des visions d’avenirs plus sains à leur public, rencontraient des difficultés à appliquer ces pratiques à leur propre organisation. Si nous ne parvenions pas à imaginer notre propre avenir, comment pouvions-nous continuer à inspirer les autres ?
Et finalement, nous y sommes. Été 2024. L’heure de l’intervention est arrivée. Nous étions tous et toutes un peu fatigué·e·s et incertain·e·s suite à notre retraite au Mois Multi, en février dernier, mais il est devenu clair qu’une intervention radicale était de mise. Bien que nous ne puissions pas résoudre tous les problèmes du monde entier, nous avons, en tant qu’organisateur·rices·s de festivals, le pouvoir de rassembler les gens pour réfléchir à des solutions ensemble. Et dans cet ordre d’idée, nous vous présentons le Sommet Future Festivals, un appel urgent lancé aux organisations, aux artistes et au public, pour collaborer et façonner notre avenir collectif.
Bien qu’elle ait généré beaucoup d’incertitudes, la retraite de Québec a fait ressortir des éléments précieux de l’histoire de nos festivals. Dans une entrevue parue plus tôt dans ce dossier, le fondateur de MUTEK, Alain Mongeau, a mentionné que l’ouvrage controversé The Temporary Autonomous Zone (TAZ), publié en 1991 par l’auteur anarchiste Hakim Bey, avait été une source d’inspiration majeure pour la création du festival, au tournant du millénaire. Dans ce classique de l’anarchisme, Bey décrit les TAZ comme des espaces sociaux qui échappent aux structures formelles de contrôle, permettant ainsi l’émergence de différents types de relations sociales. Ce concept découle de son appréciation pour l’idée d’insurrection, dans laquelle on concentre notre force dans des « poussées de puissance » temporaires. Contrairement aux révolutions, qui visent la permanence, les insurrections tirent leur force de leur caractère temporaire et dans leur ouverture. Comme le souligne Bey, « elles peuvent être planifiées, mais à moins qu’elles ne se produisent, elles sont un échec. »
Au-delà des pirates, des communes utopiques, des cultes religieux et d’Internet, Bey évoque explicitement les festivals comme des zones potentielles d’autonomie temporaire. S’inspirant du concept de carnaval du critique littéraire Mikhail Bakhtine, il propose que les festivals peuvent offrir un espace pour critiquer l’autorité et renverser les dynamiques de pouvoir, avec l’objectif d’établir un nouveau monde. Dans notre contexte de crises multiples, l’idée de TAZ nous apparaît comme une tactique faite pour notre époque, où « l’autorité est omniprésente et toute-puissante, mais aussi criblée de fissures et de vides ». Ce sont ces fissures que les TAZ, ces microcosmes de rêve anarchiste, cherchent à exploiter.
Malgré son potentiel d’inspiration, le concept de TAZ est controversé, tant en théorie qu’en pratique. Bey, de son vrai nom Peter Lamborn Wilson, a utilisé ce concept pour justifier certains choix de vie discutables. De plus, des enclaves anarchistes comme la Freetown Christiana à Copenhague, autrefois perçues comme des TAZ, ont perdu de leur éclat. Burning Man, autrefois une utopie hippie et zone autonome temporaire, est aujourd’hui en grande partie contrôlée par Google et sert les intérêts des grandes entreprises technologiques de la Silicon Valley. Au lieu d’encourager des soulèvements, les TAZ sont souvent devenues des espaces hédonistes où tout est permis. Revisiter les TAZ un quart de siècle plus tard a mis en évidence leur pertinence continue, tout en soulignant la nécessité d’une critique et d’une mise à jour.
Les festivals offrent des zones d’autonomie temporaires permettant de restructurer les relations sociales. Dans le meilleur des cas, les festivals sont des utopies temporaires.
Une facette souvent négligée de l’autonomie temporaire est l’importance des rêves utopiques et comment ceux-ci, en critiquant et en imaginant, façonnent les TAZ. En d’autres termes, c’est la pensée utopique qui donne naissance à ces soulèvements momentanés contre les normes sociétales dominantes et les structures étatiques. En explorant de nouveaux territoires spéculatifs, le Sommet Future Festivals propose que les festivals ne se contentent pas de fournir des zones autonomes temporaires pour restructurer les relations sociales, mais qu’ils deviennent aussi des espaces d’imagination, d’expérimentation et de création collective, à la recherche de futurs alternatifs. Autrement dit, les festivals sont, dans le meilleur des cas, des utopies temporaires.
« La raison exige que l’on ne puisse pas lutter pour ce que l’on ne connaît pas », nous rappelle Bey, et pour connaître « la TAZ désire avant tout éviter la médiation, faire l’expérience de son existence comme immédiate ». Contrairement aux rêves utopiques abstraits, les festivals, en tant qu’utopies temporaires, permettent de matérialiser une multitude de futurs spéculatifs dans un présent expérimental. Ils nous permettent de connaître ce pour quoi nous luttons et, en préfigurant des modes d’existence alternatifs, ils constituent une critique générative des trajectoires sociales dominantes. En fin de compte, les festivals en tant qu’utopies temporaires offrent l’opportunité de dépasser la relation binaire utopie/dystopie des discours dominants pour créer de nouvelles potentialités.
Conçu comme un festival pour les créateur·rice·s de festivals, le Sommet explore et présente une pluralité de futurs possibles pour les festivals. Inspiré par les premières conclusions de notre équipe, il traite des questions d’accessibilité, de responsabilité, de communauté, de résilience et de développement durable. Le Sommet combine des interventions expérientielles qui changent notre perception des festivals et invite des expert·e·s à partager leurs meilleures pratiques pour une production culturelle axée sur l’avenir.
Vous souhaitez vous joindre à nous ? → En savoir plus sur le Sommet Future Festival !
Une contribution de : Maurice Jones est un commissaire, producteur et chercheur en IA basé à Tiohtià:ke/Montréal, Canada. Doctorant à l’Université Concordia, il étudie les perceptions interculturelles de l’IA, la participation du public à la gouvernance technologique et les festivals en tant que méthodologie. Il est le co-commissaire du forum MUTEK et le chef de projet pour Future Festivals.
Future Festivals Field Guide FR
Guide de Terrain des Futurs FestivalsExplore more of "Future Festivals Field Guide FR:"
→ HOLO.mg/stream/
→ HOLO.mg/future-festivals-field-guide-fr/