Future Festivals Field Guide FR: Les travailleurs culturels autochtones et BIPOC trouvent du soutien dans un cercle de partage
Lab Report: Les travailleur·euse·s autochtones et BIPOC du domaine culturel, confrontés à un secteur historiquement colonialiste, trouvent un refuge dans un cercle de partage communautaire.
En privé, les membres du secteur culturel ont des conversations différentes de celles qu’ils ont en public. Face à un auditoire, on se doit d’être diplomate, transmettre de l’optimisme et répondre aux attentes des bailleurs de fonds. En coulisses, on peut discuter plus ouvertement des difficultés rencontrées au quotidien pour créer une programmation solide avec des ressources limitées. L’épuisement, la frustration, et parfois même la crainte de ne pas pouvoir continuer à justifier indéfiniment, d’un point de vue économique, le maintien de leurs activités, sont autant d’éléments qui resurgissent. Au-delà de ces difficultés, ils partagent aussi des récits de résilience et se soutiennent mutuellement avec générosité.
Le 18 octobre, imagineNATIVE a accueilli un cercle de partage réservé aux travailleur·e·s de la culture. Contrairement aux autres sessions du Future Festival Lab, qui étaient principalement composées de personnes blanches et européennes, la majorité des participant·e·s était constituée de travailleur·euse·s artistiques autochtones et de la diaspora sud-asiatique. Le contexte politique était plus complexe cette fois-ci, marqué par les tensions entre les valeurs autochtones et les normes plus colonialistes du secteur artistique international. L’événement s’est tenu à l’extérieur des murs du festival, à Artscape Sandbox, un espace événementiel confronté à des difficultés financières sérieuses, ce qui soulève des questions importantes sur le soutien aux arts à Toronto. Les participant·e·s ont parlé du travail artistique dans le contexte du néolibéralisme sans aucune retenue.
Festival Circle Conversation: “Navigating Challenges + Shaping Futures” with Liisa Holmberg (Arctic Indigenous Film Fund, International Sami Film Institute), Rosina Kazi (Bricks and Glitter); Ted Steven (Frequencies); Heather Haynes (Hot Docs Canadian International Documentary Festival); Candace Scott-Moore (Indigenous Fashion Arts); Naomi Johnson, Cynthia Lickers-Sage, Kaitlynn Tomaselli (imagineNATIVE); Belinda Kwan, Evangeline Brooks (InterAccess); Tonya Williams (JAYU); Madeleine de Young (Māoriland Film Festival); Sarah Mackenzie, Alain Mongeau, Maurice Jones (MUTEK); Katherine Bruce (Planet in Focus); Deanna Wong (Reel Asian Film Festival); Tonya Williams (Reelworld Film Festival); Kalpana Srinarayanadas (Regent Park Film Festival); Cam Scott (Send+Receive); Sanjeet Takhar (The Music Gallery); Kasra Goodarznezhad, Luisa Ji (UKAI Projects); Scott Miller Berry (Workman Arts)
Problématique : La communauté artistique est épuisée par le manque de temps et de ressources humaines, et ça crée une situation de pénurie constante.
Vision: Réallouer les ressources pour renforcer le soutien et consacrer du temps à la découverte et au développement personnel.
« Nous sommes trop occupé·e·s pour le faire. Nous le faisons pas assez », déclare Naomi Johnson. « Il y a des solutions collectives parmi nous, et il y a une façon de militer ensemble qui pourrait être faite », s’enthousiasme-t-elle alors que tout le monde se présente et exprime à tour de rôle leurs espoirs et leurs inquiétudes. Profitant du « safe space », plusieurs des premier·ère·s intervenant·e·s, dont Sanjeet Takhar (The Music Gallery) et Belinda Kwan (InterAccess), entament la conversation en réfléchissant sur l’idée de capacité et d’épuisement professionnel.
« Je pense que notre problème, en tant qu’organisation, c’est que nous ne pouvons pas rêver assez grand », dit Takhar de la sensation suffocante provoquée par le manque de ressources perpétuel. « Nous sommes physiquement incapables d’en faire plus et nous n’avons pas les moyens d’augmenter notre personnel ». Elle explique en détail l’impact de cette situation sur son objectif principal : donner l’argent aux artistes. Quant à elle, Kwan explique : « Avec InterAccess, nous avons présentement un programme pilote de prise de notes où nous rémunérons les artistes pour qu’iels assistent à des événements dans le cadre de leur recherche créative. Ces notes sont ensuite partagées à d’autres personnes, ce qui augmente l’accessibilité, et nous redonnons des fonds dans le travail des artistes. Pourquoi ne pas plutôt embaucher des artistes au lieu de confier ce travail à des personnes d’autres domaines ? »
Plusieurs intervenant·e·s ont déploré l’effondrement de leurs pratiques artistiques personnelles (et parfois même, l’arrêt complet) en raison de leur engagement quotidien à soutenir d’autres artistes. « À l’IFA, nous avons instauré les vendredis de bien-être », explique Candace Scott-Moore, faisant référence à une initiative de l’Indigenous Fashion Arts visant à allouer du temps pour le repos et le développement personnel. « Avant, j’étais une workaholic, mais maintenant j’ai des limites », se réjouit-elle. « Je vais voler ça pour imagineNATIVE », plaisante Johnson, provoquant un rire généralisé. Les représentant·e·s d’autres organisations ont partagé leurs propres pratiques de self-care. « Nous essayons de chacun faire quelques résidences en dehors du Canada, au cours de l’année, mettre à pause le travail administratif pour quelques semaines et juste faire de l’art », explique Luisa Ji à propos d’une initiative de UKAI Projects visant à garantir à chaque membre de l’équipe un temps d’arrêt au-delà de leurs activités habituelles.
Problématique : Faibles salaires, coût élevé des logements, insécurité alimentaire, plusieurs problèmes menacent leur bien-être des artistes et des gens du secteur culturel.
Vision: Militer pour les droits au logement et à l’alimentation, diversifier les sources de revenus pour revitaliser les communautés locales et soutenir les artistes.
« Le salaire est la raison pour laquelle j’ai quitté le domaine », partage une ancienne employée de imagineNATIVE. « Je ne pouvais pas me permettre de vivre à Toronto. J’étais enceinte à l’époque. » Et l’augmentation de salaire qu’offrait le passage à un autre secteur était séduisante. Dix ans plus tard, elle se demande : « Est-ce que je peux me permettre d’y retourner ? Combien de gens avons-nous perdu, des bons travailleurs, simplement parce qu’ils ou elles n’avaient pas les moyens de travailler dans les arts ? »
« Si les artistes ne parviennent pas à survivre, comme c’est le cas pour la plupart d’entre nous à Toronto, alors tout le système est voué à l’échec », déclare Rosina Kazi (Bricks and Glitter). Venant d’un espace DIY qui rassemble des artistes queer, trans et racialisé·e·s, elle tente de supporter les gens les plus impactés par la gentrification rapide ayant lieu à Toronto. « Dans le domaine des arts, on prétend souvent qu’on a ce qui se fait de mieux, tout ce qui est le plus cool. Pendant ce temps-là, la moitié d’entre nous arrive à peine à se nourrir et fréquente les banques alimentaires » , explique-t-elle, soulignant que le secteur culturel devrait s’engager pour défendre les droits au logement et à l’alimentation. Cam Scott (Send+Receive) se rappelle qu’un ami a récemment suggéré que les artistes devraient bénéficier d’un revenu de base universel. « Pourquoi se limiter aux artistes ? », a répondu Scott. « Nous devons dé-spécialiser l’art », insiste-t-il, en implorant que le secteur artistique confronte les problèmes de façon plus systémique plutôt que de se replier sur lui-même.
Plusieurs personnes ont partagé des récits de résilience et d’innovation pour faire face à la précarité. Madeleine de Young illustre comment son équipe au Māoriland Film Festival a quintuplé ses activités pendant la pandémie en explorant les liens qui unissent toutes les formes d’art que célèbre le festival. « Comme il n’y a pas de films sans artistes, nous avons ouvert une galerie d’art. Nous voulons impliquer les jeunes, donc nous proposons des cours de théâtre et de danse pour enfants. » Un studio commercial complémentaire engage une équipe de travailleur·euse·s à l’interne pour générer des revenus, un espace événementiel accueille des artistes autochtones, et une sorte de service de catering communautaire nourrit le personnel en plus de créer quelques retombées économiques, explique-t-elle. « Nous avons réussi à diversifier nos activités pour garantir un financement de base, ce qui nous permet de maintenir les emplois de nos 28 membres de l’équipe avec des salaires raisonnables pour les standards d’Ōtaki, en Nouvelle-Zélande. »
« Nous avons tous et toutes fait face à des difficultés similaires, mais elles varient selon nos contextes locaux. », dit Maurice Jones de MUTEK, alors que la session touche à sa fin. Bien qu’il n’y ait pas de solution simple pour contrer la pression constante de devoir faire plus avec moins de ressources et de temps, les participant·e·s peuvent trouver un réconfort dans le soutien et la compréhension mutuelle que ce type de rencontre génère.
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