Future Festivals Field Guide FR: Naomi Johnson soutient la prochaine génération de créateur·rice·s autochtones
« Il y a un effort de collaboration et de réappropriation de notre identité, un travail pour connaître notre histoire et être porteur·euse·s de nos histoires. »

Naomi Johnson, Kanien’kehá:ka (Mohawk) Bear clan des Six Nations, est directrice exécutive de imagineNATIVE, le plus grand festival de films et d’arts médiatiques autochtones au monde. Auparavant, elle a été directrice artistique du Woodland Cultural Centre pendant sept ans. En 2023, Johnson a reçu le prix Margo Bindhardt et Rita Davies de la Toronto Arts Foundation pour son leadership dans le domaine des arts et de la culture.

Q: Pour commencer, pouvez-vous nous donner une vue d’ensemble de votre mandat à la direction d’imagineNATIVE jusqu’à présent ? En dehors des défis liés à la pandémie, à quoi avez-vous consacré votre attention au sein de l’organisation ?
A: Pour moi, le festival représente la santé de imagineNATIVE en tant qu’organisation et de ceux qui en font partie. Je suis très consciente du fait qu’au Canada, nous sommes la plus grande organisation autochtone. Beaucoup de gens nous regardent, et je ne veux pas me concentrer uniquement sur notre programmation et sur ce que nous créons. Je dis souvent : « Je veux que ce que nous accomplissons soit de qualité, mais je veux aussi que nous le fassions de manière saine. » C’est pourquoi j’ai dirigé mon attention à l’interne, vers notre équipe, en gérant leurs rôles et responsabilités, et en m’assurant qu’ils se sentent soutenus. Je crois qu’un personnel heureux et épanoui rayonne au-delà de l’équipe et se perçoit pour tous. Je suis également consciente qu’au Canada, les organisations autochtones dirigées par des personnes autochtones sont encore rares. Nous sommes l’une des rares organisations dont la direction est entièrement composée de personnes autochtones. La majorité des membres du conseil d’administration sont également Autochtones, une configuration assez unique. Même en 2024, de nombreuses organisations autochtones, qu’elles soient à but non lucratif ou du domaine artistique, ne sont pas dirigées par des Autochtones, elles engagent des Autochtones. Certaines grandes institutions ont parfois des contrats à court terme où elles engagent des personnes autochtones, mais elles n’investissent pas dans leur développement et dans leur formation en tant que professionnel·le·s des arts. C’est pour cette raison que je mets autant d’effort envers notre équipe depuis mes débuts au festival.
« Même en 2024, de nombreuses organisations autochtones, qu’elles soient à but non lucratif ou du domaine artistique, ne sont pas dirigées par des Autochtones, elles engagent des Autochtones. »
Q: Participer aux journées industrie d’imagineNATIVE, c’est écouter les témoignages sincères de plusieurs professionnel·le·s établis de l’industrie. Le programme comprenait des discussions avec des développeur·euse·s de jeux vidéo, des artistes et curateur·rice·s de nouveaux médias, ainsi que des professionnel·le·s issus de tous les secteurs du cinéma et de la télévision. Comment mobilisez-vous une aussi vaste palette de figures de l’industrie pour offrir du mentorat pour la prochaine génération d’artistes autochtones ?
A: Je pense que imagineNATIVE remplit un rôle très particulier. À une époque, les artistes autochtones se demandaient où montrer leur travail et la réponse était souvent : « Présente-le à imagineNATIVE » ou « Participe aux opportunités de développement professionnel et vois quelles connexions tu peux établir ». Nous étions le seul choix disponible, mais aujourd’hui, les choses ont évolué.

C’est fantastique qu’il y ait beaucoup plus d’opportunités aujourd’hui, mais ce qui nous démarque vraiment, c’est la façon dont nous les mettons en place. Nous sommes une organisation très axée sur la création de liens. Pour nous, les relations, c’est vraiment important. Je pense qu’il est essentiel pour notre mission de nous assurer que les créateur·rice·s se sentent soutenu·e·s et qu’iels ont un lieu sûr où aller. La confiance est une priorité dans tout notre travail, même avec nos plus gros partenaires. Que ce soit avec une compagnie de jeux vidéo ou un distributeur, nous nous assurons que la relation est solide et que nos valeurs sont les mêmes. Il est déjà arrivé que des relations se détériorent et que je me dise : « Je n’ai pas apprécié leurs propos » ou qu’un membre de mon équipe dise : « Je n’ai pas aimé leur façon de me parler » lors d’une réunion. Si l’ambiance n’est pas bonne, nous mettons un terme à la relation.

Il est aussi de plus en plus facile d’obtenir des aides financières. Par exemple, le Bureau de L’éCran Autochtone, récemment mis en place, offre de superbes opportunités de financement aux cinéastes établi·e·s ayant plusieurs projets à leur actif. Et nous nous positionnons comme une plateforme accueillante pour tous. Peu importe où vous en êtes dans votre parcours professionnel, nous vous encourageons à participer à imagineNATIVE.

J’ai moi-même bénéficié directement du programme de mentorat de imagineNATIVE en suivant une formation d’un an sous la direction de mon prédécesseur, Jason Ryle, avant d’occuper le poste de directrice exécutive. C’était un indicateur assez clair des valeurs de l’organisation. Le rôle de directeur adjoint a également été rétabli, occupé présentement par mon collègue David Morrison. Ce rôle suit un modèle similaire à celui que j’ai suivi avec Jason. L’idée est d’assurer un encadrement constant afin que quelqu’un soit prêt à prendre le relais en cas de besoin. Une bonne stratégie de succession est essentielle dans le monde souvent précaire des arts à but non lucratif.
En 2023, 23 créateur·rice·s de films et de nouveaux médias ont été récompensé·e·s par des prix d’une valeur allant jusqu’à 65 000 $ CA.
Q: Au cours de la dernière décennie, le monde de l’art canadien a finalement accordé aux artistes autochtones l’attention et la reconnaissance qu’iels méritaient depuis longtemps. Parallèlement, de nombreuses institutions qui avaient historiquement exclu ou marginalisé ces artistes adoptent désormais une rhétorique de décolonisation pour remettre en question leurs préjugés systémiques et reconnaître leur responsabilité dans le colonialisme. En tant que travailleuse artistique autochtone, comment percevez-vous ces efforts de réconciliation ? Avez-vous constaté un véritable changement en cours ? Pensez-vous que cela se réalise assez rapidement ?
A: Au cours des 17 ou 18 dernières années passées à travailler pour des organismes à but non lucratif dans le domaine des arts au Canada, j’ai été témoin de changements incroyables. Comme je l’ai mentionné précédemment, il y a quelques décennies, les opportunités pour les artistes autochtones étaient pratiquement inexistantes. J’avais une formation en art, mais aucun chemin à suivre. Aujourd’hui, il y en a un pour moi et pour beaucoup d’autres, et c’est un progrès significatif. Est-ce que ça évolue assez rapidement ? C’est jamais assez rapide. Je crois que si on se concentre trop sur la vitesse du changement, ça rend la vie assez pénible. C’est pourquoi je reste optimiste, je n’aime pas ressentir de l’amertume. Je me concentre sur les domaines où je vois des avancées et je continue d’avancer. Je suis fière d’avoir contribué à faire progresser les choses dans la bonne direction.

Pour illustrer avec un exemple concret, le Bureau de L’éCran Autochtone représente un progrès considérable. C’est majeur. Le fait que imagineNATIVE soit désormais un festival de films international ayant des liens avec de nombreux autres festivals autochtones dans le monde, et qu’ils se tournent vers nous pour des conseils, c’est incroyablement gratifiant, c’était nous qui cherchions ce type de support avant. Il y a un effort de collaboration et de réappropriation de notre identité, un travail pour connaître notre histoire et être porteur·euse·s de nos histoires. C’est important que chacun comprenne notre passé. Si j’étais une Canadienne moyenne, je serais en colère en découvrant les informations qui m’ont été cachées. Je veux croire que la plupart des Canadien·ne·s partagent ce sentiment. Lorsque les fosses communes d’enfants ont été découvertes au pensionnat de Kamloops en 2021, c’était la première fois de ma vie que je voyais une telle manifestation d’indignation pour notre peuple. À travers le pays, des gens portaient des chandails oranges en signe de solidarité lors de la fête du Canada. Personne n’avait envie de célébrer. Je n’avais jamais vu un tel soutien auparavant.
« Toronto est le baromètre pour les arts au Canada. Tout coûte extrêmement cher, peu importe le type d’initiative, et lorsqu’on multiplie par le nombre d’événements au sein d’un même festival, ça devient désastreux. »
Q: Dans un article sur la précarité dans le domaine culturel au Canada paru à l’automne 2023 dans le Globe and Mail, vous dites que le manque de financement et l’augmentation des coûts à Toronto restreignent votre programmation et menacent l’avenir du festival. À quel moment les inconvénients d’être basé dans une ville comme Toronto deviennent-ils plus importants que les avantages ? Comment parvenez-vous à atténuer les difficultés financières croissantes ?
A: Toronto est le baromètre pour les arts au Canada. Tout coûte extrêmement cher, peu importe le type d’initiative, et lorsqu’on multiplie par le nombre d’événements au sein d’un même festival, ça devient désastreux. Le montant que nous avons payé pour les chambres d’hôtel lors de notre dernière édition, c’est pas quelque chose que nous pouvons faire chaque année. Je réfléchis à des moyens d’encourager les participant·e·s à continuer de venir au festival mais nous ne pouvons plus payer pour les chambres d’hôtel de tout le monde. J’ai des employés qui n’ont même plus les moyens de vivre dans la ville, iels font un nombre incroyable d’heures six nuits par semaine pendant le festival, je ne sais pas combien de temps nous pourrons continuer ainsi. Honnêtement, nous en arrivons à un point où nous nous demandons si c’est viable de rester là où nous sommes. C’est notre réponse pragmatique face à tout ça. J’ai discuté avec tout le monde qui était disposé à m’écouter. Nous avons organisé de nombreux groupes de discussion et consultations à travers Toronto avec nos bailleurs de fonds publics. Chaque fois que ces questions sont soulevées, je suis présente. J’ai besoin que les gens en charge écoutent ce que j’ai à dire. Le secteur culturel peut se regrouper et défendre ses intérêts tant qu’il le veut, rien ne va changer si on ne réussit pas à toucher les personnes qui peuvent réellement faire la différence.

La vie culturelle d’une ville ne peut pas se maintenir avec seulement un ou deux grands événements. Quel type de ville voulons-nous habiter à long terme ? Si nous continuons comme ça, ça va mal se terminer. Il faut considérer les organisations artistiques comme des investissements. Nous investissons dans la santé de la communauté et de la ville. Je remarque que les priorités changent, en ce moment, selon les dirigeants en place, mais les décisions restent toujours liées à l’économie. Ça ne devrait pas être le seul facteur déterminant pour les politiques, mais même si c’est le cas, les festivals peuvent générer des millions en impact économique, et le secteur culturel ne voit aucune de ces retombées.
Le directeur de Hey Viktor! (2023), Cody Lightning, récipient du prix Meilleur Long Métrage (Drame) de imagineNATIVE 2023.
Q: Au-delà du festival, imagineNATIVE a pris la route dans le cadre d’un programme de tournée. Pourriez-vous nous expliquer comment ces tournées de documentaires, de courts et de longs métrages contribuent à élargir l’impact du festival ?
A: C’est principalement le domaine de notre directrice de festival, Lindsay Monture, c’est elle l’experte, mais je vais essayer de vous donner un aperçu. Chaque année, à partir de la programmation du festival, la personne en charge de la sélection artistique choisit les films qui feront partie de la tournée. Nous choisissons ceux qui sont susceptibles d’attirer un plus grand public, tout en tenant compte stratégiquement des programmes scolaires et des périodes où les études autochtones sont prioritaires. Ça a été facile de faire circuler ces films dans les communautés autochtones à travers le pays parce que nous sommes, nous-mêmes, issu·e·s de ces communautés, nous savons à qui nous adresser et quelles salles réserver. En 2023, nous avons lancé une tournée de réalité virtuelle en partenariat avec l’Office national du film du Canada. C’était super facile pour nous et ça a été très bien reçu. Malheureusement, ils ont perdu leur financement, et on essaie de voir si c’est possible de maintenir le projet par nos propres moyens. Nous avons soumis une demande de subvention hier au Conseil des Arts du Canada pour l’acquisition de l’équipement nécessaire afin de continuer les tournées pour le cinéma et pour la RV.

Nous avons lancé une initiative similaire en partenariat avec Reel Canada en 2022. Nous allons collaborer à nouveau avec eux pour proposer une programmation lors de la Journée nationale du film canadien, en intégrant des films autochtones dans plusieurs cinémas Cineplex Odeon à travers le pays.
« Mon plus grand souhait, c’est que les personnes qui ont réussi reviennent à imagineNATIVE. Il est essentiel que nous entretenions des relations actives avec ces artistes, car ils sont une source d’inspiration pour ceux et celles qui émergent. »
Q: À l’instar du monde de l’art contemporain, les créateurs et les créatrices autochtones sont enfin reconnu·e·s à leur juste valeur dans le domaine du cinéma et de la télévision. En Amérique du Nord, des plateformes de streaming telles que Netflix ou Crave ont récemment introduit des catégories de contenu dédiées aux « voix autochtones », en capitalisant sur des séries populaires comme Reservation Dogs de Sterlin Harjo et Taika Waititi. Avec cette visibilité croissante, comment envisagez-vous l’évolution du rôle de imagineNATIVE dans les années à venir ?
A: Mon plus grand souhait, c’est que les personnes qui ont réussi reviennent à imagineNATIVE. Il est essentiel que nous entretenions des relations actives avec ces artistes, car ils sont une source d’inspiration pour ceux et celles qui émergent. C’est là que nous intervenons en tant qu’intermédiaires et heureusement, nos ancien·ne·s participant·e·s ne cessent de dire des bonnes choses du soutien que imagineNATIVE leur a offert tout au long de leur parcours.

Lily Gladstone a remporté le Golden Globe de la Meilleure Actrice pour son rôle dans Killers of the Flower Moon (2023), et c’était un moment vraiment remarquable. J’ai vu tant de personnes autochtones exprimer leur joie et leur amour avec cette victoire, ça me réjouit profondément. Historiquement, pour beaucoup d’entre nous, il y a eu une profonde sensation de manque (et un manque bien réel), surtout pour ceux et celles qui ont grandi dans des réserves. L’idée que certain·e·s d’entre nous puissent réussir suscitait parfois une réaction de jalousie ou de rivalité. C’est pourquoi voir tant de gens vraiment heureux et célébrant un succès est si gratifiant. C’est un signe des temps qui changent.
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Greg J. Smith

A writer and cultural worker based in Hamilton, Canada, Greg is an editor for HOLO and his writing has appeared in publications including Creative Applications Network, Musicworks, and Back Office. He is also a PhD candidate within the Department of Communication Studies and Multimedia at McMaster University, where he is researching the emergence of the programmable drum machine in the early 1980s.

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