Future Festivals Field Guide FR: Une table ronde de MUTEK rappelle à notre groupe que le « gatekeeping » est bel et bien vivant.
Rapport de lab : Lors d’une table ronde, des membres de la communauté rappellent à notre groupe de recherche que le « gatekeeping » est bien vivant.
Si on réunit des organisateurs et des organisatrices de festivals pour parler de la scène culturelle, les conversations vont inévitablement tourner autour de l’argent. Beaucoup d’organisations jonglent avec la précarité au quotidien juste pour rester à flot. Mettez une centaine de personnes dans une pièce, organisateur·rice·s de festivals, artistes, étudiant·e·s et activistes, et toute une gamme de problèmes plus complexes surgira bien vite.
Le 24 août, lors du Forum MUTEK, les intervenant·e·s internes et externes impliqué·e·s dans le projet Future Festivals ont été invité·e·s à partager leurs difficultés et leurs réussites lors d’une table ronde ouverte, dans le but de stimuler le dialogue au sein de la communauté. Les artistes émergents BIPOC et les groupes vulnérables ont saisi cette opportunité pour demander légitimement plus d’accès et une plus grande transparence.
Table ronde : “(Jointly) Expanding Orbits of Future Festivals” avec Kaitlyn Davies (Refraction), Marie Pier Gauthier (l’Office national du film du Canada), Damian Romero (MUTEK.MX), Cam Scott (Send+Receive), Kris Voveris (New Forms)
Problématique: La période d’austérité post-pandémique et la gentrification ont des impacts variés selon les villes. Certains festivals éprouvent des difficultés à trouver des espaces adéquats.
Vision : En période d’incertitude, repenser, s’adapter et expérimenter ; créer des alliances et toujours faire passer la communauté en premier.
Contrairement à la table ronde du 22 août, où les producteur·rice·s de festivals étaient plutôt sur la même longueur d’ondes, celle-ci a mis en lumière des réalités très diverses au sein du secteur culturel. En se basant sur les notions de « pénurie » et d’« abondance », les études de cas présentées ont clairement montré que les différents niveaux de gentrification et les disparités de financement posent des défis (et offrent des opportunités) uniques pour les festivals à travers l’Amérique du Nord.
Cam Scott explique que Send+Receive a adopté une approche à la Robin des Bois pour son financement : « Nous donnons l’argent aux artistes, nous essayons de faire bouger les choses pour les communautés, et c’est plus facile pour nous de le faire sans la vente de billets ». Le festival a récemment changé son approche pour un modèle de type contribution volontaire et ce virage a permis aux résident·e·s des quartiers de Winnipeg où se déroule le festival d’art sonore et de musique expérimentale, d’assister à des performances d’artistes tels que Speaker Music et Wok the Rock sans risque. Cette approche bienveillante fonctionne bien au Canada, un pays où le financement public garantit un budget de fonctionnement de base, mais ce n’est pas une option au Mexique. Damian Romero explique comment MUTEK.MX a dû réinventer l’entièreté de son modèle économique après la pandémie : « Nous avons revu notre plan d’affaires pour que chaque programme de notre festival soit autosuffisant grâce à ses propres revenus. C’était comme un retour aux sources ». Cette révision a inclus la recherche de nouvelles sources de financement, la restructuration du personnel, des partenariats institutionnels, et une grande réorganisation pour assurer la viabilité financière de chacun des programmes. Ils en sont sortis revigorés et prêts à entamer leur troisième décennie.
À Vancouver, la question de l’espace prévaut sur la vente de billets, comme le souligne Kris Voveris de New Forms, parlant de la perte d’un de leurs espaces juste avant l’édition 2019 : « On s’est fait dire qu’ils n’étaient pas intéressés par les événements avec de la musique forte où on sert de l’alcool, qu’ils préféraient les événements plus axés sur l’entreprise et la technologie. En gros, on s’est fait virer pour une conférence sur la RV et l’AR. » En raison du manque de salles abordables pour la musique live à Vancouver, New Forms a dû improviser en créant temporairement ses propres espaces pour répondre à ses besoins. Ces difficultés par rapport à la recherche de contextes appropriés pour des représentations résonnent dans d’autres milieux. « Est-ce que c’est viable ? Quel est l’objectif de présenter un projet à un public spécifique ? », se questionne Marie Pier Gauthier, productrice à l’Office national du film du Canada (ONF). Elle fait référence à l’introspection à laquelle se livre l’équipe interactive de l’ONF à chaque fois qu’elle est invitée à présenter leurs projets. La diversité des publics, des budgets et l’évolution de la technologie rendent chaque évènement un défi en soi. Le travail de (re)présenter les mêmes projets de différentes manières dans le cadre de différents festivals s’avère être une tâche ardue.
Kaitlyn Davies parle de l’approche de liberté, de décentralisation et de la remise en question des modèles plus traditionnels qu’elle explore avec Friends with Benefits (FWB) et Refraction. « Nous voyons FWB comme un grand vase que d’autres personnes peuvent remplir. Nous construisons les infrastructures, apportons les génératrices, les machines à glace, et nous louons l’espace. » nous dit-elle. La communauté façonne la programmation et le processus de sélection des artistes est complètement transparent, grâce à des outils en ligne tels que les formulaires Airtable et les tableaux Figma. « On cherche à inciter plus de collaboration.»
Problématique : Malgré l’évolution des normes de programmation, le « gatekeeping » persiste, et les artistes émergent·e·s BIPOC se sentent mal servis.
Vision : Les festivals doivent dépasser les attentes de base en matière de diversité et d’équité, autant dans leur programmation que dans leur organisation.
Les préoccupations de Kaitlyn Davies concernant le « gatekeeping » semblaient anticiper les réactions suscitées par les panélistes, lors de la discussion avec le public. De manière justifiée, plusieurs jeunes artistes préoccupé·e·s par le manque de soutien des festivals envers les artistes queer et BIPOC émergents, ont condamné le manque de gouvernance et de transparence dans les arts et les opportunités limitées qui leur sont offertes. « Quels succès avez-vous rencontrés dans la préservation de la dignité des personnes marginalisées ? » a demandé un·e intervenant·e d’un ton tranchant. La conversation s’est attardée sur le fait que les communautés les plus vulnérables, nouveaux arrivants, personnes handicapées, transgenres, sont extrêmement négligées par les initiatives actuelles en matière de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI). En réponse, Scott a souligné : « On ne peut pas traiter les personnes marginalisées comme des consultants pour améliorer l’image d’une organisation. Nous voulons supprimer les obstacles qui perpétuent ces injustices lorsque nous intégrons de nouvelles personnes dans notre communauté ».
Une autre personne a soulevé l’idée que les panélistes ne voyaient pas assez loin en termes d’accès. En plus de servir leur ville, leur pays, les festivals pourraient aussi avoir un impact à l’étranger, a-t-elle argumenté. « Pour moi, la notion d’accès peut être étendue au-delà des frontières. Si je peux envoyer un lien, un fichier, une vidéo à un ami chez moi en Iran, ça signifie quelque chose. Je me demande ce qui empêche les festivals de prendre ce genre d’initiatives. » Certains festivals sont plus habiles que d’autres pour archiver et diffuser leur programmation sur des plateformes comme Instagram, SoundCloud ou YouTube, mais cette provocation a suscité une prise de conscience majeure : l’accès implique également la solidarité et le partage à l’échelle internationale.
Le contraste entre la présentation initiale et la réaction qui s’en est suivie était frappant. Ce qui ressort principalement, c’est que bien que les organisations puissent avoir une liste étendue de priorités, celles qui sont les plus pressantes pour les artistes et le public sont clairement l’accès et l’équité.
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Alexander Scholz
Alex is a Berlin-based writer, artistic director, and cultural worker. As the founder and creative director of HOLO, he helps produce and disseminate knowledge on disciplinary interstices, artistic research, and cultural transformations in the digital age. Over the years, he curated exhibitions, conferences, and educational programmes for organizations and festivals including A.C.C. (KR), Mapping (CH), MUTEK (CA), and NODE Forum for Digital Arts (DE).
Greg J. Smith
A writer and cultural worker based in Hamilton, Canada, Greg is an editor for HOLO and his writing has appeared in publications including Creative Applications Network, Musicworks, and Back Office. He is also a PhD candidate within the Department of Communication Studies and Multimedia at McMaster University, where he is researching the emergence of the programmable drum machine in the early 1980s.